Accueil > Vision > Analyses thématiques > Les Années 60-70

Les Années 60-70

Sommaire :
  1. Héritage
  2. Vietnam
  3. Contestation
  4. Politique-fiction
  5. Violence
  6. Morale

Une représentation historique et autobiographique

Quand j'étais au lycée, je rêvais à des mutations radicales de la société. Peut-être qu'au fond de moi je ne suis pas vraiment pacifiste.1

Un "héritage" historique

Cette période a considérablement marqué OSHII Mamoru, parce qu'il en fut le témoin direct d'une part, à un âge où ces expériences marquent la vie d'un être (de son propre aveu), et parce qu'à un degré mineur il en fut même un élément actif. Nous parlons bien entendu des soulèvements étudiants, qui au cours de la seconde moitié des années 1960- 1970, vont se multiplier et se radicaliser : locaux occupés et dégradés, batailles rangées avec la police, séquestration d'enseignants et de membres des administrations universitaires, etc. En même temps, l'escalade américaine au Vietnam, les bases américaines du Japon qui servent partiellement de base arrière, avec moins de liberté qu'à l'époque de la guerre de Corée, les tensions commerciales avec l'ancien occupant, tout cela rappelle à la masse populaire japonaise la crise du printemps 1960.

A cette époque, suite à la décision du Japon et des États-Unis de revenir sur les traités de 1951 et signer, entre autres, un nouveau traité de sécurité mutuelle et de coopération, dans lequel les Américains sont obligés de consulter Tokyo avant d'utiliser leurs bases pour des opération militaires en Asie, les mouvements de gauche avait su mobiliser les foules, dont le Zengakuren, pour s'opposer à la ratification du traité. Le Premier ministre d'alors fait en sorte de surprendre tout le monde afin que le traité passe sans encombre et il se heurte ensuite à une indignation populaire encore plus grande. Des manifestations impliquant des centaines de milliers de personnes fleurirent pendant tout le printemps 1960 et forcèrent le président Eisenhower à annuler une visite prévue au Japon. Finalement, dès l'entrée en vigueur du traité et l'échange entre les deux pays des ratifications au début de l'été, le mouvement se calme et la « crise » du printemps 1960 fut résolue.

Reflet du Vietnam

Tous ces évènement se retrouvent à des degrés plus ou moins divers dans les oeuvres d'OSHII. Dans Blood, l'action se passe en 1966 et l'essentiel du film se déroule dans une base américaine d'où décollent des avions de ravitaillement pour les bases américaines au Vietnam. La fugace peinture sociale entourant la base, que proposent OSHII et le réalisateur du film, KITAKUBO Hiroyuki, donne un aperçu de la vision qu'ont les Japonais de cette période, qui n'est plus l'occupation, mais qui pouvait voir fleurir aux abords des bases quelques problèmes entre les communautés. On peut lire comme interprétation première des vampires qui infestent la base américaine, la critique par le Japon à cette époque d'une Amérique assoiffée de sang, en pleine fuite en avant vers la violence et le déchaînement de la guerre au Vietnam.

La contestation étudiante, ses limites et l'Amérique

Les agissements des rebelles dans Dallos fait aussi écho aux revendications étudiantes qui préoccupaient OSHII dans sa jeunesse et son refus d'une société qui utilise « l'individu comme carburant de la machine sociale, jusqu'à ce qu'il se fasse broyer par elle. »2 Mais le pessimisme profond du film, du moins sur l'utilité d'une action violente par les groupes contestataires, nous montre que le cinéaste a fait du chemin depuis ses engagements de jeunesse. Dans Patlabor 2, l'alliance militaro-industrielle entre le Japon et les Etats-Unis, qu'incarne le Comité Secret à l'origine du complot de TSUGE, nous évoque tout à la fois la position du Japon comme base arrière américaine en Asie, et les différents traités de sécurité et le caractère mitigé qu'ils ont toujours rencontré au sein de l'opinion publique, entre défiance (par peur d'ingérence de l'ancien occupant – et c'est la menace qui est brandie à la fin du film et qui pousse GOTOH à agir rapidement et en désobéissant) et respect (les menaces éventuelles de dégradation des relations dans la sphère asiatique – tensions entre la Chine et Taiwan, entre les deux Corées – et l'assurance de l'aide de l'ancien occupant).

OSHII dénonce là une connivence trop grande entre les milieux d'affaires, les politiques et les militaires et le spectre d'une résurgence de l'ultra-nationalisme et du militarisme à outrance. Ces représentations en filigrane de la mémoire de la période 1960-1970 accusent de l'importance qu'elle occupe dans l'inconscient collectif japonais. Il n'est pas si étrange qu'elle se soit constituée dans un rapport plus ou moins conflictuel à l'Amérique, rapport que les oeuvres d'animation japonaises travailleront, explicitement ou pas, de manières assez régulière. Peut-être faut-il rappeler que l'occupation est considérée de manière assez particulière au Japon :

Si les sujets de friction furent nombreux de part et d'autre, l'occupation laissa aux Japonais l'image d'une expérience beaucoup moins désagréable qu'ils n'avaient imaginé ; rétrospectivement, ils considérèrent cette période comme une étape importante et positive de leur histoire.3

En même temps, la défiance vis-à-vis de l'ancien occupant a toujours été de mise et explique l'ambiguïté des relations entre ces deux pays et donc des représentations qu'elles engendrent. GOTOH ne veut pas, par inaction et manque de conviction face à ceux qui cherchent à déstabiliser son pays, donner une excuse aux Américains pour intervenir.

Une politique-fiction exagérée...?

Mais la trilogie des Kerberos Panzer Cops, et plus particulièrement Jin-Roh, constituent les films du cinéaste qui procèdent d'un discours plus élaboré encore sur cette période. Leur histoire s'appuie sur un scénario de politique-fiction, partant de l'hypothèse que les conséquences de la fin de la guerre, la reconstruction du pays, l'occupation américaine, au lieu de se dérouler de manière plutôt positive, entrent dans une sorte de spirale de troubles sociaux de plus en plus aggravants : augmentation importante du chômage, misère sociale de plus en plus répandue, apparition de forces antigouvernementales (calquées sur les agissements révolutionnaires étudiants). Tous ces événements poussent le gouvernement japonais à créer, après 1955, une force de police spéciale, n'agissant qu'à Tokyo, la POSEM, lourdement armée et équipée, et ayant pour but de maintenir l'ordre dans les rues de la capitale nipponne par tous les moyens. Cette escalade dans la violence légitimée par le gouvernement entraîne une hyper-radicalisation des mouvements d'opposition, qui tombent dans les actes terroristes et l'assassinat. Après de violents affrontement entre la POSEM et les groupuscules terroristes, la population exaspérée de ces bains de sang isole de plus en plus les deux adversaires. Le film se déroule alors que l'unité de police est en train de vivre ces derniers moments de gloire.

OSHII dans son scénario, qui est tiré d'un manga qu'il a scénarisé en 1988 et dont l'action se situe dans l'univers des Kerberos Panzer Cops, démonte toutes les attentes du public. Au lieu de prendre parti pour un des deux camps présentés dans l'introduction du film, il évacue dès le début du film les groupes révolutionnaires. Nous n'entendrons presque plus parler d'eux dans la suite du film et uniquement au travers de ceux qui les combattent. A la place du conflit attendu, OSHII préfère nous montrer, en suivant la logique de la métaphore animale qui parcourt tout le film, et dont Fusé est le représentant le plus accompli, comment les « chiens de guerre » gouvernementaux vont s'entre-dévorer, maintenant que l'ennemi à abattre n'est plus (ou presque).

Pas d'échappatoire possible à la violence d'état

OSHII déplace ainsi le problème de la violence urbaine en une violence plus sournoise qui s'instaure dans les administrations gouvernementales elles-mêmes. Ici, encore, il est question d'exploitation de l'homme par l'homme. Le message d'OSHII consiste à nous faire comprendre qu'une fois lancé dans le processus d'exploitation de l'humain par lui-même, tout finit par y passer, des institutions les plus radicales (La POSEM et son service secret de contre-espionnage, la Brigade des Loups, à laquelle appartient en fait Fusé) aux personnes elles-mêmes : malgré le jeu d'agent double qu'ils ont chacun joué, Fusé et la jeune fille ne peuvent s'empêcher de développer des sentiments l'un pour l'autre, mais la violence du monde dans lequel ils vivent ne leur permet pas de lui échapper. La jeune fille invitera Fusé au piège que son ancien ami d'académie lui tend dans le musée d'histoire naturelle et Fusé tuera la jeune fille, car le seul moyen pour que ses ennemis (les autres services de la police tokyoïte) croient que la Brigade la détient, tout en n'ayant jamais la possibilité de mettre la main sur elle, consiste à la tuer dans le terrain vague de la fin du film et à faire disparaître son corps. Là aussi, le pessimisme d'OSHII est à son comble, puisque Fusé finira par agir, poussé par les suppliques de mort de la jeune fille qui veut accomplir jusqu'au bout du « conte » son rôle de Petit Chaperon rouge (Image 1).

Capture d'écran du film Jin-Roh

Image 1. Accomplissement du Destin dans la violence, où quand le pacifisme d'OSHII connaît des limites (Jin-Roh).

Morale progressiste du "conte" politique

Le rôle du conte durant tout le film est comme celui du Destin qui aurait rattrapé ces personnages et que ces derniers ne pourraient en réchapper. OSHII dès le départ, lorsque la jeune fille donne le conte à Fusé, dévoile l'intrigue du film, mais comme tous les contes, il s'agit avant tout d'une métaphore sur l'engrenage infernal de la violence dans les rapports entre les hommes, qui se propage à tous les niveaux du corps social et à tous les humains, sans aucune distinction. Il y a dans la fin de Jin-Roh, une allusion évidente à la violence sourde que la société japonaise est capable parfois de voir exploser dans les situations désespérées de certains de ses membres. Pour OSHII, la mémoire d'une telle violence passe forcément par son intellectualisation, au sens psychanalytique du terme, à savoir qu'elle se refuse à être perçue sous un angle affectif et qu'elle se « donne une dimension abstraite et générale. »4 Loin de la passion et de l'implication de la violence révolutionnaire, la violence d'Etat est une violence différente, dont la mémoire ne s'entache pas du rôle que les hommes y ont joué. OSHII nous livre ici sa plus belle critique à l'encontre de ceux qui poussèrent des hommes à commettre l'irréparable au nom de la Raison d'Etat, et démontre bien que la Révolte, qu'elle soit progressiste ou réactionnaire, est toujours accomplie par des hommes marginaux au sein de la Société.

1. OSHII Mamoru, in ROUGIER Bertrand, sans titre, biographie d'OSHII Mamoru, in Livret collector du DVD d'Avalon, s.l., StudioCanal avec la participation de Mad Movies, 2002, p. 6.

2. Ibid., p. 5.

3. REISCHAUER Edwin O., Histoire du Japon et des Japonais – 2. De 1945 à nos jours, Paris, Editions du Seuil, collect. Points Histoire, édition mise à jour et complétée par Richard Dubreuil, 2001, p. 10 (traduit de l'américain par Richard Dubreuil, 1ère édition française 1973 / 1ère édition américaine, Japan, Past and Present, New York, Alfred A. Knopf Inc., 1946).

4. BOURDON Bruno (dir.), Dictionnaire Flammarion de la langue française, Paris, Flammarion, 1999, p. 651.

Haut de la page